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Les perdants magnifiés d’Olivier Rodriguez

« Le perdant sportif possède un peu de cette beauté tragique que l’on retrouve dans la mythologie »


C’est un petit livre pour penser et pour se souvenir que nous offre Olivier Rodriguez, 48 ans, ancien joueur et entraîneur de tennis au haut niveau, aujourd’hui préparateur physique de l’équipe professionnelle du Havre Athletic Club en Ligue 2, et également passionné d’écriture (il collabore au média atlantico.fr), de littérature, de philosophie. En tout cas si l’on en croit les diverses références croisées dans cet ouvrage, et si l’on se fie à la profondeur des réflexions dans lesquelles il nous attire avec un ton bien à lui, ce mélange de détachement et de regard critique, de gravité et d’enthousiasme. Car le sujet - l’échec, la manière de perdre, ces immenses champions défaits avec lesquels l’auteur entretient une relation si puissante - est un prétexte pour disserter avec soin sur tout ce qui compte vraiment : les amours perdus, le temps qui passe, nos fragilités inguérissables, et tous ces souvenirs donc qui s’invitent et submergent sans crier gare. Parmi les perdants magnifiés d’Olivier Rodriguez figurent Mike Tyson, Merlene Ottey, Nicolas Mahut, Laurent Fignon, John McEnroe ou encore Eric Moussambani, et chacun d’entre eux est l’occasion d’un récit passionné, partage intime d’un moment de sidération figé à jamais. Comme un salut de loin à ces défaites remplies de charme, ces défaites bienvenues qui rassurent les non-héros que nous sommes, si habitués à perdre, acceptant qu’une quantité infinie de choses, de personnes et d’instants nous glissent sans cesse entre les doigts. Selon l’auteur, « la défaite amène à nous poser des questions auxquelles nous n’avions pas pensé ». C’est le cas aussi du livre « Les perdants magnifiés » (Editions Vérone), qu’il évoque ci-dessous à l’occasion d’une conversation forcément centrée sur le thème de la défaite, nettement plus intéressante que toutes les victoires.




C’est quoi une défaite ?

La défaite est déjà peut-être le sentiment le plus universel qui soit, avec l’amour. Et les deux ne semblent pas incompatibles… Pour preuve cette statistique : 85% des histoires d’amour finissent mal !


Dans la vie, nous perdons constamment.

Effectivement, la défaite n’est pas toujours sportive, on ne perd pas toujours en finale de coupe du monde, mais on perd tous quand même : un travail, un proche, l’amour de sa vie… Mais il faut savoir que s’il est des victoires qui n’ont pas beaucoup de valeur, certaines défaites peuvent être inestimables.


Inestimables ?

La défaite peut être féconde, elle permet de construire, de se réformer, de renaître ! Certains échecs rendent envisageables des réussites futures. Comme si les larmes versées lors des matchs les plus ratés étaient des acomptes sur les joies des matchs qui seront réussis à l’avenir. Et puis une saison sportive qui ne serait jalonnée que de succès serait comme aseptisée, les joies deviendraient mesurées… On sait ce qu’est un bonheur quand on a souffert auparavant. C’est ce contraste de sentiments qui est riche d’enseignements.


En sport, personne ne la souhaite, mais dans une saison elle arrive inévitablement. Comment bien l’utiliser, bien la vivre ?

En effet, à part si l’on est coach de Manchester City ou du Bayern Munich, la défaite est là, on la côtoie souvent. C’est un enfant non désiré dont on a la charge malheureusement très régulièrement. La défaite malmène les identités, réveille des blessures narcissiques, froisse les orgueils. Il faut avoir la capacité à perdre sans se déprécier, donc avoir la capacité de différencier la défaite du sentiment qu’elle génère. C’est peut-être sur ce paradoxe-là qu’il faut insister. La défaite étant inévitablement révélatrice de notre fragilité, chercher à la comprendre nous confronte à la dernière des impasses et à la première des apories. Car comment saisir ce qui se défait, ce qui se brise ? Comment saisir l’insaisissable ? La défaite est parfois riche d’enseignements, mais on ne peut pas toujours la comprendre, elle a ses paradoxes et c’est pour ça qu’elle est très difficile à gérer.




Même dans la victoire, la défaite semble présente : la défaite de l’autre, ou sa propre défaite à venir, inéluctable…

Car on ne peut se réaliser en tant que victorieux que par la défaite de l’autre… Et puis les joies qui naissent des victoires sont des petites choses très fragiles. Le bonheur ou la victoire sont indissociables de l’idée de leur perte. On sait que c’est forcément provisoire. On sait qu’il y a toujours un vautour qui s’appelle la défaite et qui plane au-dessus de nos têtes...


Comment est née l’envie d’écrire sur la défaite ?

Nous sommes tous le produit des aventures vécues, ou des mésaventures… Je viens du monde du tennis, j’étais un joueur honnête, champion régional, et j’ai connu la défaite, comme entraîneur aussi lorsque je coachais une joueuse du top 100 mondial. La défaite m’a accompagné, je l’ai côtoyée et observée, j’ai essayé d’apprendre d’elle. Et puis, même si la société et les médias font la part belle à la réussite, créent cette espèce d’obligation, moi je trouve que les perdants ont du charme. Ce charme paradoxal qui me fascine. Le perdant sportif possède un peu de cette beauté tragique que l’on retrouve dans la mythologie.


Qu’est-ce qui vous fascine concrètement ?

Pourquoi les grandes défaites sportives, comme celle des Bleus en 82, sont-elles ancrées dans l’imaginaire populaire, dans l’inconscient collectif ? Parce que dans ces moments-là, ces grands champions qui ont perdu se rapprochent de nous, humbles sportifs. Leurs doutes, leurs questionnements, leurs blessures sont les mêmes que les nôtres. On se sent alors proche de ces perdants magnifiques et c’est pour cette raison, pour questionner cette proximité, que j’ai voulu écrire sur ce thème.

Comment s’est opéré le choix des défaites, de ces perdants que vous magnifiez littéralement ?

J’ai choisi celles qui m’ont marqué en tant que spectateur ou téléspectateur. J’ai trouvé qu’elles étaient de bons archétypes pour servir de support concret au sujet que je voulais traiter. Mike Tyson, Merlene Ottey, Eric Moussambani, Nicolas Mahut... Entre deux flash-back au cœur de leurs combats célèbres, j’ai essayé d’explorer ce que la défaite engendre en chacun de nous, en mettant en parallèle les sentiments du champion et ceux du spectateur. Je fais en sorte que le thème ne soit pas toujours le sujet : il existe une colonne vertébrale, mais elle sert de digression pour parler d’autres choses, et au final le livre brasse beaucoup de sujets.


Propos recueillis par Valentin Deudon

Olivier Rodriguez. Les perdants magnifiés. Editions Vérone, 2021.

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