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Entretien avec Richard Escot pour une mêlée littéraire


Richard Escot, est journaliste à L’Équipe, et auteur de plusieurs ouvrages sur le rugby dont Les Oblongues (Atlantica, 2008), Jour de Gloire (Philippe Rey (2008), Rugby Land (Philippe Rey, 2011) et Dictionnaire du désir de lire (Honoré Champion, 2011). Avec son comparse Benoit Jeantet, ils nous régalent avec ce nouveau livre, une « mêlée littéraire » qui multiplie les liens entre deux univers que certains veulent éloigner. En découvrant autant d’écrivains amoureux du rugby et de joueurs « piqués des belles lettres », avec en trait d’union, des journalistes, dont Denis Lalanne et Antoine Blondin, raconteurs d’épopées et d’histoires de cochet, on ne peut que reconnaitre que ces deux univers se nourrissent l’un et l’autre.


Comment est née l’idée de ce nouveau livre ?

Avec Benoît Jeantet, nous nous connaissons depuis une quinzaine d’année et nous avions pris l’habitude d’échanger nos impressions de lecture autour d’un café boulevard Saint-Germain. En 2011, nous avions déjà co-écrit un ouvrage sur notre bibliothèque idéale, Dictionnaire du désir de lire, et pendant la COVID, nous avions l’envie de retrouver ce sujet Littérature et rugby, qui nous tiens à cœur. Nous avions prévu de nous réunir entre blogueurs de Côté ouvert ( http://coteouvert.blogspot.com/ ) à Uzerche, comme nous le faisons chaque année, et prévus avec Benoit une intervention sur Littérature et rugby. Malheureusement, à cause des conditions sanitaires, nous avons annulé cette réunion, mais comme nous avions travaillé sur le sujet pour ce rendez-vous, nous avions déjà pas mal de matière. Cette intervention qui devait être orale est devenue au fil du temps, un manuscrit.


Dans la préface, Dimitri Yachvili dit : « la littérature anime et bonifie souvent – au même titre qu’un entrainement technique ou physique- le sportif dans tout son être ». Qu’en pensez-vous ?

Dans cette phrase, il y a deux choses importantes. Dimitri Yachvili est un ancien grand joueur, et comme Pierre Berbizier, Serge Simon, Philippe Guillard, c’est un lecteur. Le sportif de haut niveau n’est pas un abruti, c’est d’ailleurs dommage de devoir le rappeler, c’est un homme cultivé, qui lit beaucoup. C’est ce que nous avons voulu mettre en avant. D’ailleurs Dimitri travaille en ce moment sur un manuscrit pour parler de la fin de sa carrière. Nous l’avons choisi comme préfacier car nous savions qu’il était touché par ce sujet, nous ne le regrettons pas car il nous a proposé un texte magnifique.


Pourquoi autant d’écrivains et d’écrivaines ont écrit ou se sont passionnés pour le rugby ? La richesse de la langue du rugby favorise-t-elle l’écriture ?

Tout ce qui touche à l’effort, à la capacité d’un être humain à se dépasser pour aller vers l’exploit, est par essence un sujet romanesque. Je ne dirais pas que c’est grâce à son vocabulaire, parfois difficile d’accès, mais plutôt grâce à son esthétique et les liens humains présents dans une équipe. « On fait bloc », « on avance ensemble », l’expression dans le contact physique, qui en dehors de la boxe, n’est pas vraiment présent dans les autres sports, où l’on essaie plutôt de s’éviter. Le rugby est un sport collectif, de contact, qui dégage une solidarité, une fraternité et une esthétique propre qui touche les artistes (peintres, écrivains, sculpteurs, musiciens…).




Comme le remarque l’universitaire Pascal Balmand, il y a deux moments dans la littérature foot, son apogée dans l’entre deux-guerre, basée sur les valeurs, la formation des corps et de l’esprit, une disparition dans les années 50/60, et un retour dans les années 70/80 autour des thèmes de la fête, du rêve, et de l’innocence. Est-ce la même chose avec le rugby ?

Il y a plusieurs âges d’or. Le premier est le même que celui du football, à savoir l’après-guerre et il est axé sur les valeurs du rugby, à savoir l’engagement et la fraternité. À l’époque, on a besoin de retrouver un peu d’espoir en l’humain après quatre ans de boucherie dans les tranchées. La seconde période intervient après la deuxième guerre jusque dans les années 70, avec la libération des plumes journalistiques vers le roman, grâce à Denis Lalanne et Henri Garcia. À ce moment-là, le rugby devient un sujet d’expression, les personnages sont romanesques, citons les frères Boniface, "Jacky" Bouquet, Alfred Roques, Lucien Mias. D’ailleurs Antoine Blondin va prendre Guy Boniface pour en faire un personnage d’une de ses nouvelles, les Quat' saisons. Le 3e âge d’or est plus contemporain, il date des années 90, notamment grâce au roman policier, avec Pascal Dessaint, Jean-Paul Dubois, Denis Tillinac, qui vont utiliser le rugby pour prendre à rebours une évolution sociétale rapide, qui nous dépasse, ils vont ralentir le temps et faire des joueurs des héros romanesques.


Dans votre livre, on voit que de nombreux coachs, joueurs ou anciens sont des passionnés de littérature. Cet intérêt peut-il s’expliquer aussi par les grandes plumes du journalisme de l’Équipe comme Denis Lalanne et Antoine Blondin ? Ont-ils favorisé un intérêt littéraire chez les passionnés de rugby ?

La plupart des joueurs cités dans le livre ont fait des études. Ils sont allés au lycée, ils ont étudié les grands auteurs comme Hemingway ou Kerouac, d’autres ont poursuivi à l’Université. Leurs parcours en ont fait des citoyens ouverts sur le monde, curieux, et fait perdurer cet intérêt pour la littérature, la musique ou la peinture. J’ai eu l’occasion de parler plusieurs fois de William Turner avec Thomas Castagnède. On a trop tendance à vouloir enfermer les sportifs de haut niveau dans leur milieu professionnel, dans une caricature du joueur obnubilé par sa carrière. En 35 ans de journalisme, j’ai vu de nombreux joueurs épanouis et intéressés par autre chose que leur sport. Le plus emblématique est Daniel Herrero, ancien troisième ligne centre des années 70, finaliste du championnat de France, qui va devenir écrivain. Philippe Guillard et Serge Simon se sont aussi lancés dans l’écriture en publiant des romans. Et ce n’est pas forcément en lien avec le compte rendu ou le reportage journalistique qu’ils arrivent à la littérature.



Les joueurs cités sont souvent d’une période passée, période de l’amateurisme ou semi-professionnalisme. Peut-on dire que le professionnalisme a cassé ce lien entre rugby et littérature ?

Non, on ne peut pas affirmer cela. En tant que journaliste, je n’ai jamais pu aborder la question de la culture avec des joueurs en activité. Nous n’avions pas le temps. Il fallait raconter le rugby. Ce n’est qu’une fois qu’ils ont raccroché les crampons, qu’ils se livrent davantage sur leur passion. Aujourd’hui Maxime Médard, Jean Bouilhou s’intéressent la littérature. C’est leur intimité, et l’on sait qu’ils n’osent pas se dévoiler en dehors de leur pratique tant qu’ils jouent encore. C’est un décalage qui peut nous tromper. Il faut attendre quelques années. Et puis pour moi, des joueurs comme Julien Pierre et Mathieu Bastareaud mériteraient aussi d’avoir leur place dans un roman, ce sont de véritables personnages avec des histoires, autant que les joueurs des décennies précédentes. Aux écrivains de se saisir du sujet !


Avec l'omniprésence de l’image vidéo et des statistiques, existe-t-il encore un peu de place pour l’imagination ?

Oui bien sûr. La littérature n’a pas vraiment besoin de l’action et des matchs, elle dépasse la simple pratique sportive, elle regarde ce qu’il se passe à côté et autour du rugby. Aujourd’hui les hauts et les bas du Stade Français pourraient être de l’ordre du romanesque. Ce qui manque, ce sont les plumes pour raconter tout cela mais il y a toujours autant de sujet qu’auparavant. On est nombreux à écrire, j’ai déjà cité plusieurs collègues, mais nous sommes peut-être moins médiatiques que d’autres. Dernièrement, il faut quand même noter la publication de « La Totale », un roman à huit mains de quatre ex-rugbymen, dont Jean Colombier prix Renaudot 1990. Il y a peut-être un problème de médiatisation. Heureusement les réseaux sociaux sont aujourd’hui une possibilité supplémentaire de rendre compte de notre travail.


Justement La coupe du monde 2023 peut-elle redonner cet élan ?

En 2007, lors de la dernière Coupe du monde en France, nous avions listé 350 livres sur le rugby ! mais très peu de romans. C’était principalement des livres qui mettaient en valeur le rugby, les joueurs. Il y a aura probablement un impact, à savoir s’il sera positif ou non, je ne le sais pas, car parfois le trop est l’’ennemi du bien, car les bons livres pourraient être noyés dans la masse de publications.


A la fin du livre, vous donnez votre bibliothèque idéale. Avez-vous une affection particulière pour un texte ou un écrivain ?

J’ai beaucoup d’affection pour le livre Raffut de Philippe De Jonckheere (Inculte-Dernière Marge, 2018) qui est vraiment un texte d’une grande sensibilité et une qualité d’écriture étonnante. La Totale (‎Éditions Gascogne, 2021), ce roman écrit à quatre mains par Jean Colombier, Jean-Paul Basly Jacques Colombier et Frédéric Villar est absolument formidable. Et puis Epopée (Edilivre, 2018) le roman d’un certain Charrette, est vraiment très drôle et bien écrit.




Propos recueillis par Julien Legalle



Richard Escot et Benoît Jeantet, Jeux de lignes, Ed. Privat, 2021.



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