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Entretien avec Giovanni Privitera, auteur de "Luigi Alfano, Toulon, foot et castagne".

Dans quelques jours sortira une biographie pour le moins inattendue. D’une part parce qu’elle revient sur la carrière d’un joueur méconnue, Luigi Alfano, actuel entraîneur du Sporting Club Toulon, et figure tutélaire du club varois dans les années 80. D’autre part parce qu’elle redonne un peu d’éclat à un club et à un blason depuis longtemps dans l’ombre de l’ovalie locale. Enfin parce qu’elle parle, quelque part, d’un autre football, où la castagne conférait au schéma tactique. Entretien avec l’auteur de Luigi Alfano, Toulon, foot et castagne, Giovanni Privitera.





Votre récit biographique parle de la carrière de Luigi Alfano. Pourriez-vous nous présenter rapidement cette personnalité atypique ? Pourquoi ce choix ? Qu'est-ce qui, dans cette personnalité, a pu particulièrement vous attirer ?

Plusieurs éléments m’ont donné envie d’écrire sur la vie et la carrière de Luigi Alfano. Tout d’abord, le côté antihéros de Luigi. C’était un joueur qui évoluait au Sporting Club de Toulon dans les années 1980, un club de milieu de tableau de Première Division à l’époque. Et s’il était un titulaire indiscutable, il n’a jamais été la star de l’équipe. C’était un défenseur central, connu surtout pour sa rugosité défensive et son jeu de tête. Il n’a jamais vraiment été sous les feux des projecteurs. Pourtant, à Toulon, si l’on demande aux supporters de citer un seul et unique joueur, une figure emblématique du club, ils n’évoqueront pas le meilleur buteur de l’histoire du championnat de France Delio Onnis, ni même les internationaux français Christian Dalger, David Ginola ou Bernard Casoni, mais ils parleront très certainement de Luigi Afano. Cela est certainement lié à la deuxième raison qui m’a poussé à vouloir écrire cet ouvrage : la fidélité d’Alfano à son club et l’identification des supporters à l’homme. Il est arrivé au Sporting club de Toulon en tant que « stagiaire » à la fin des années 1970 et il y a passé toute sa carrière de joueur jusqu’à l’orée des années 1990, malgré certaines sollicitations de l’OM, de Lille ou encore de Metz. Puis il est devenu coach en 1993 et, aujourd’hui encore, il est entraîneur du club de sa vie. Qu’un homme passe près de 40 ans sous les mêmes couleurs, c’est plutôt rare et remarquable. Et puis, l’enfance napolitaine de Luigi Alfano dans les années 1960 m’intéressait également. Je trouvais cela passionnant de voir comment, dans l’Italie du sud, plus précisément à Naples, en pleine période d’émigration massive vers le nord du pays ou vers l’étranger, l’amour de Luigi pour le football est un fait social et culturel plus qu’individuel. Pour ne donner qu’un exemple, enfant, Luigi devait assister à la messe du dimanche pour pouvoir prendre part aux rencontres sur le seul terrain de football du village. Car le terrain appartenait à l’Église, c’était celui de l’Oratorio (équivalent du potrero argentin, où beaucoup de joueurs italiens ont fait leurs classes). C’était le pacte instauré par le prêtre.



Pourriez-vous nous expliquez votre démarche et votre travail d'écriture ?

L’idée n’était pas d’écrire une biographie au sens journalistique du terme. Mais plutôt de raconter l’épopée du personnage Luigi Alfano, celle d’un « guerrier du football », en essayant de narrer certaines anecdotes avec humour.

J’ai donc exposé le projet à mon éditeur et quand j’ai eu son accord, j’ai contacté Luigi Alfano pour lui proposer l’idée. Il a tout de suite été partant. Nous nous sommes rencontrés très vite pour en parler.

Je lui ai d’abord demandé de me donner les principaux éléments biographiques et de me raconter les anecdotes de sa carrière qui lui semblaient les plus intéressantes, originales et drôles. J’ai eu la chance de pouvoir voir Luigi très régulièrement et donc d’écrire tranquillement de mon côté, à mon rythme, de le solliciter au besoin et de lui poser une multitude de questions. Il a fait preuve d’un grand enthousiasme.

J’envisageais de rencontrer également d’autres témoins (supporters, coéquipiers, adversaires, entraineurs, dirigeants) et Luigi m’a mis en relation avec tous ceux qui ont bien voulu se rendre disponibles. Puis en mars le confinement est arrivé. Par chance, j’ai quand même pu m’entretenir avec eux, mais malheureusement les entretiens se sont faits par téléphone. De mon côté, j’ai également consulté pas mal d’archives.


Votre récit donne l'impression, au-delà de la personnalité présentée, de vouloir dépeindre un football d'une autre époque. Qu'est-ce qui, selon vous, la distingue de notre football contemporain ?

Oui, écrire un livre sur Luigi Alfano et le SC Toulon des années 1980, c’était aussi écrire un livre sur une époque où le football se déclinait autrement. La postface du livre est d’ailleurs intitulée « Le foot est mort, vive le foot ». Il ne s’agit pas du tout d’avoir une vision décliniste des choses, ni de tomber dans le piège du « c’était mieux avant ». Mais il s’agit simplement de constater que le football a changé depuis les années 1980 et de souligner ces différences. Ce n’est ni mieux, ni moins bien. C’est différent.

Par exemple : jusqu’à la fin des années 80, de par son style et ses joueurs, l’équipe incarnait et symbolisait souvent, l’identité réelle et imaginaire de la ville qu’elle représentait. Elle était un reflet idéalisé de sa population, une métaphore grossissante de son identité. La nouvelle donne économique, associée au processus plus général de mondialisation –notamment depuis l’arrêt Bosman en 1995 et la multiplication des transferts- a rendu les joueurs qui, comme Luigi, étaient issus du coin et passaient toute leur carrière dans le même club, toujours plus rares.

Mais l’évolution du football comporte aussi son lot d’améliorations. Les années 80 étaient celles du triomphe de la brutalité sur et hors des terrains ; une décennie où le beau jeu et la justice sportive étaient souvent vaincus par les tactiques défensives, la malice, le vice et les tricheries. Au fil des années, certaines réformes salutaires ont fait reculer l’antijeu et tout a été mis en œuvre pour faire progresser le niveau de performance. Pour dire les choses clairement, un joueur comme Luigi prendrait aujourd’hui, un carton rouge tous les deux matchs.

Finalement, je crois qu’un certain football est révolu, c’est indéniable. Mais son essence, sa popularité, son universalité et l’intensité des passions qu’il suscite restent les mêmes.


Toulon 1983-1984


Votre ouvrage est aussi une plongée dans l'histoire méconnue du Sporting Club de Toulon. Comment pourriez-vous la qualifier en quelques mots ? Quelle relation entretenez-vous vous-même avec ce club et son histoire ?

Effectivement, car écrire un récit biographique sur Luigi Alfano revient à écrire sur le Sporting Club de Toulon, tellement l’homme incarne son club.

Le SC Toulon nait en 1945 dans ce qui est, avant tout, une ville de rugby. Tout au long de son histoire, l’équipe de football vit dans l’ombre du RCT. C’est globalement un club de D2 (à l’exception de deux brèves apparitions d’une saison en D1, en 1960 et en 1965), jusqu’au début des années 1980. Tout au long de cette décennie, les rugbymen de Daniel Herrero et les footballeurs de Rolland Courbis partagent le haut de l’affiche et le mythique stade Mayol. C’est l’âge d’or du Sporting, qui passe dix saisons dans l’élite de 1983 à 1993.

Puis le club finira le XX° siècle entre D2 et National avec Luigi Alfano comme coach. Malheureusement l’histoire du SCT est aussi faite de problèmes financiers et de relégations administratives. Depuis 2000, le club végète entre football amateur et semi professionnel. Aujourd’hui l’équipe, à nouveau coachée par Luigi, évolue en National 2.

Malgré cela, le SCT est un club qui a une base de supporters fidèles et passionnés (plus encore que certains clubs de Ligue 1). À titre d’exemple, à l’époque où le club évoluait en DH, certains matchs se déroulaient devant plus d’un millier de supporters. En 2019, pour la montée de N2 en National, il y avait près de 6000 spectateurs à Bon Rencontre.

Me concernant, je suis aussi supporter du Sporting. En règle générale, j’accorde une certaine importance à la territorialité du supportariat, au fait d’avoir un lien avec la ville que l’on soutient. J’ai grandi en Sicile mais, en France, Toulon est ma ville d’adoption et c’est l’équipe que je supporte. Je n’ai malheureusement pas connu Toulon en D1. Mais j’espère que l’on pourra retrouver, à court terme, au moins la Ligue 2.




Toulon-Metz 1983-1984


Votre ouvrage est aussi une ode à la relation entre amateurs et professionnels dans le football. Ce lien fondamental vous semble-t-il rompu ou déplacé de nos jours ?

Je crois qu’on en revient à l’évolution du football. Le football a changé et ce lien est aujourd’hui moins fort que dans le passé. À la faveur du développement d’un football plus performant, plus rentable, plus rationnel, plus sûr, les joueurs professionnels sont, presque tous, élevés en batterie dans les centres de formation ; ils perdent ainsi, bien souvent, tout contact avec la vie courante. Ils sont, pour la plupart, dans une bulle et n’ont aucune idée de ce qu’est le quotidien de Monsieur Tout le monde, de ce que sont les vies des supporters, de ce qu’est l’Histoire du club où ils jouent. L’attachement aux couleurs, l’accessibilité vis à vis du public, en somme, l’aspect familial des clubs, pâtit incontestablement de cette vedettisation précoce.

Mais si les footballeurs sont moins facilement accostables qu’auparavant, c’est aussi pour se protéger de l’inévitable surexposition médiatique. Car la starification tous azimuts est à double tranchant : ces jeunes peuvent potentiellement être encensés du jour au lendemain certes, mais ils peuvent tout aussi brusquement être honnis et calomniés.


Enfin, votre titre laisse entendre que le football toulonnais des années 80 était marqué par quelques "castagnes". Pourtant, rien de bien violent dans les lignes de votre ouvrage. Est-ce surtout l'éloge un peu romantique d'un football qui savait user de la virilité comme une stratégie tactique à part entière ?

Oui, rien de bien violent. La castagne est ici la métaphore fruitière de l’état d’esprit d’un joueur, Luigi Alfano, et d’une équipe, le SC Toulon, qui « allaient au mastic » et pour qui la ruse était une véritable stratégie. C’était, d’une certaine façon, une philosophie de jeu. Certaines anecdotes dans le bouquin le prouvent.

On peut dire que le titre, et le livre en général, font l’éloge d’un football qui donne sa chance aux petits contre les gros, parce que justement c’est un sport qui permet de jouer à la limite de la règle, de flirter avec la faute, la triche. De ce fait, le football est le sport où il y a le plus de surprise.

Nous parlions tout à l’heure des différences entre le football des années 80 et celui d’aujourd’hui. Je crois que la rationalisation, le fait d’essayer de rendre plus « mathématique » et statistique le football, le prive d’une partie de ce qui fait son essence.


Luigi Alfano, Toulon, foot et castagne, préface de Daniel Herrero, Ateliers Henry Dougier, 2021.


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