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Entretien avec Basile de Bure, lauréat du Prix Sport Sciptum pour son livre "Deux pieds sur terre".

Enfant, Basile de Bure rêvait de devenir joueur de football professionnel. Malgré des heures consacrées à l’entraînement, il ne restera qu’une star de cour d’école mais pas des terrains de Ligue 1. Toujours passionné par l’univers du ballon rond, le journaliste consacre son premier livre à l’équipe U15 du Red Star, club populaire et mythique de Jules Rimet dans la ville de Saint-Ouen. Connu pour sa préformation, on est loin des strasses et des paillettes de son voisin parisien, le PSG. Ainsi Basile de Bure suit pendant une saison le parcours de la génération 2004 qui rêve de devenir professionnel. Cette immersion dans les vestiaires, au bord du terrain ou à l’entraînement, nous rappelle le documentaire passionnant du début des années 2000, « A la Clairefontaine », qui voyait déjà s’illustrer l’international français Hatem Ben Arfa. Ce récit a reçu le prix Sport Sciptum 2020.



Pour votre premier livre, vous avez choisi d’écrire sur une équipe de U15. Pourquoi ?


Je voulais m’intéresser aux années qui précèdent un parcours professionnel, afin de montrer tout le travail que les apprentis footballeurs accomplissent dès leur plus jeune âge. Montrer à quel point il est difficile d’arriver au plus haut niveau, et ainsi tordre le coup à une idée reçue qui veut que les footballeurs soient décrits comme des enfants gâtés, pour qui tout est facile.

Dans le parcours du combattant pour devenir professionnel, l’année U15 est déterminante. C’est l’année de la bascule, l’année où tout se joue. U15, cela signifie « Under 15 years old », moins de 15 ans. Les garçons ont donc 14 ans. C’est la dernière année avant de rejoindre un centre de formation. En U15, on joue encore dans le club de son quartier, de sa ville, avec un objectif : taper dans l’œil d’un recruteur et rejoindre un centre de formation. C’est le Graal, l’objectif ultime.

Il existe environ 35 centres de formation en France (les 20 clubs de Ligue 1 et une quinzaine de Ligue 2). C’est là que les clubs pros forment leur futurs joueurs. Pour réussir, il faut passer par là. Pour trouver les pépites, des recruteurs de tous les clubs sillonnent la France, à la recherche du futur Mbappé. Les clubs amateurs d’Île de France sont particulièrement observés, car la région à la réputation d’être le vivier de jeunes joueurs le plus important du monde.

Et puis surtout, quand j’avais l’âge des garçons, je rêvais moi aussi de devenir footballeur pro ! Malheureusement, je n’étais pas assez fort. Mais grâce à cette enquête, j’ai pu vivre mon rêve par procuration.



Pourquoi le Red-Star ?

Je voulais trouver la meilleure équipe U15 de la région, celle dans laquelle j’avais le plus de chance de voir des signatures, et, pourquoi pas, de découvrir une future star. Au début de mon enquête, je suis allé observer les équipes qui avaient la réputation d’être les plus douées : Montfermeil, Torcy, Drancy, Colombe, Montrouge, l’ACBB… et le Red Star donc. À Bauer (le stade de Saint-Ouen), j’ai eu un coup de foudre. C’était pourtant une défaite des verts contre l’ESSG ! Mais la qualité de jeu, le respect des consignes, les profils des joueurs sur le terrain… Je voulais suivre cette équipe. J’ai tout fait pour être accepté, je suis allé voir l’entraîneur, le directeur technique, le manager général… j’ai même écrit au président ! Et j’ai finalement eu le feu vert.

Je ne pouvais pas mieux tomber. Le Red Star est un club incroyable, avec une histoire d’une richesse dingue, une tradition politique très forte, une association culturelle formidable (le Red Star Lab), une identité, des supporters, un stade… L’atmosphère qui se dégage de ce club et de cette ville, Saint-Ouen, est unique au monde.

Quel était l’objectif de ce livre ? Que voulez-vous que les lecteurs retiennent ?

Je voulais monter le travail, la maturité, le sérieux de ces jeunes. Raconter le quotidien d’ados qui sacrifient tout pour réaliser leur rêve, qui ne pensent qu’au foot, tout le temps. Suivre le parcours de ceux qui le réaliseront, mais aussi montrer la déception de ceux pour qui le rêve s’arrête, et souligner la violence de cette sélection. Imaginez un enfant qui rêve de devenir avocat ou médecin, et à qui on dirait, à 14 ans : « Tu passes le concours cette année ! Et si tu le rates, c’est fini pour toujours. » Les garçons ont conscience de l’échec potentiel. Ils sont extrêmement prudents, et c’est ça qui leur donne une maturité incroyable. Ils n’ont pas le temps d’être des enfants.

Au fur et à mesure de mon enquête, j’ai réalisé que j’allais dépasser le simple cadre du football. J’étais avec eux 4 fois par semaines, pendant 9 mois. Il y avait un aspect sociologique évident. Au delà du foot, c’est aussi un portrait de la jeunesse des quartiers populaires. J’ai vraiment été touché par l’intelligence, la maturité, l’humour de ces garçons, qui sont par ailleurs des ados comme les autres : accrocs à leurs portables et aux réseaux sociaux, fans de rap, chambreurs… Bien loin des idées reçues qu’on peut se faire sur les jeunes de banlieue. Surtout aujourd’hui, à l’heure où Gérald Darmanin, dans la plus grande tradition sarkozyste, ne cesse de les stigmatiser.

C’est donc ça que je veux qu’on retienne : l’intelligence et la maturité de ces garçons, et la richesse de la jeunesse des quartiers. Aujourd’hui, on a réussi à créer un modèle d’excellence footballistique en banlieue, grâce à un tissu de clubs amateurs et des éducateurs de très grandes qualités. Si un jeune prodige du ballon rond voit le jour en Île-de-France, il sera repéré par le système, impossible qu’il passe entre les mailles du filet. Kylian Mbappé en est le meilleur exemple. Quand arriverons-nous à en faire de même pour le futur grand avocat, écrivain, pianiste ou chirurgien issu des quartiers ?




Au fil des pages, j’ai eu parfois l’impression de revoir certaines scènes du mythique doc « A la Clairefontaine ». Est-ce une inspiration pour vous ?

Oui bien sûr, c’est une référence absolue ! J’aime aussi beaucoup « L’Académie du foot », un documentaire sur le centre de formation du FC Nantes et la génération Dimitri Payet. Plus récemment, Arte a diffusé « Aux pieds de la gloire » sur un jeune joueur du centre de formation du Havre. Il existe des documentaires vraiment formidables sur le sujet, mais il n’y avait pas encore de livre ! C’était vraiment mon défi : réussir à retranscrire une année de foot avec des mots.

Pour revenir à « A la Clairefontaine », j’ai vu chaque épisode 3 fois, j’ai suivi le parcours de tous les joueurs. C’est vraiment un programme fondateur de mon adolescence. Merci pour la comparaison !


On voit qu’à 14-15 ans, il y a déjà beaucoup de monde autour d’eux : famille, agents, amis, recruteurs, coachs… Était-ce simple de vous faire accepter ?

Non, ça n’a pas été simple ! Dans un premier temps, il fallait convaincre la direction, et ça n’était pas évident… C’est le président qui m’a donné le feu vert. Patrice Haddad est une personnalité assez incroyable dans le milieu du foot. Amoureux des arts et de la littérature, il a tout de suite été sensible à mon idée.

Dans un deuxième temps, il fallait me faire accepter des coachs, et je dois dire que j’ai eu beaucoup de chance parce que Foued et Souraké m’ont tout de suite fait confiance et accueilli dans l’intimité du groupe et du vestiaire.

Enfin, il fallait que je gagne la confiance des joueurs… Et ça c’était probablement le plus difficile ! À 14-15 ans, ce sont des ados, ils n’ont pas forcément envie de parler avec des adultes. Surtout qu’ils ont l’habitude d’être approchés par des inconnus un peu louches, des agents véreux ou des recruteurs avides, du coup ils se méfient des adultes. Mais petit à petit, j’ai réussi à me faire accepter. Il y a eu un moment déterminant, c’est le voyage à Saint-Étienne. Le centre de formation du club stéphanois avait invité le Red Star pour un match amical à l’Étrat. Nous sommes partis tous ensemble un samedi matin, rdv à la gare, on aurait dit une colo ! Après le match, en attendant le train du retour, Nadir est venu me voir. Il s’est assis à ma table à la terrasse du Mc Do et m’a proposé de faire une interview d’après-match. Au début, il était très pro, il répondait comme les joueurs à la télé. Et puis il s’est mis à se livrer, à parler de choses plus personnels, de sa place dans l’équipe, de sa relation avec le coach, de sa famille… On a parlé tellement longtemps qu’on ne s’est pas rendu compte que les autres étaient partis, Foued m’a téléphoné pour me dire que le train était sur le point de partir ! À partir de là, c’est la complicité avec Nadir qui m’a permis de gagner la confiance de tout le groupe. On est d’ailleurs toujours très proche aujourd’hui.

Concernant les gens qui les observent, c’est vrai que c’est quelque chose qui m’a beaucoup impressionné. À chaque match, chaque entraînement, il y a des ombres en tribune, un peu inquiétantes, qui ne ratent pas une miette du spectacle, qui filment parfois avec un iPad. Des faux agents, des recruteurs, des curieux… Ça pourrait être pesant pour leur petites épaules, mais les garçons gèrent ça très bien. Ils ont l’habitude d’être observés, ça fait vraiment partie de leur quotidien. Et ils ont appris à tenir à l’écart les oiseaux de mauvaise augure. On ne leur fait pas à l’envers. Le club les protège d’ailleurs beaucoup, personne n’a le droit de les approcher, Foued faisait très attention à ça. Et concernant les parents, c’est pareil. Certains papa peuvent avoir une mauvaise influence, donner des consignes contradictoires pendant les matchs, mettre la pression à leur enfant… Le Red Star veille au grain, les parents ne sont pas acceptés sur le terrain dès les U9. Ceux qui restent connaissent les règles et sont très respectueux. Je voyais souvent les pères de Emin et Mohamed, on regardait les matchs ensemble, c’était super sympa ! Ils vivaient les matchs avec autant d’intensité que leur fils, ils les encourageaient, vibraient avec eux… Quand Emin a signé à Lille, j’ai vu la fierté et le soulagement sur le visage de son père. Et en même temps, le petit pincement au cœur : son fils allait quitter le nid familiale pour d’autres horizons.


Deux moments m’ont particulièrement interrogé : En cas de sélection en équipe nationale, la plupart de ces jeunes veulent jouer pour le pays de leurs parents, et non pour la France. Le second, c’est la phrase de Nadir : « Je veux en faire mon métier, jamais je ne pourrai jouer pour le simple plaisir ». Cela semble être une réelle évolution par rapport aux générations précédentes. Qu’en pensez-vous ? A votre avis, pourquoi ce changement ?

La question de l’identité est centrale dans le livre. Les garçons sont fiers de l’origine de leurs parents, fiers d’être audoniens, fiers d’être de Saine-Saint-Denis. Mais la France, c’est plus compliqué… Déjà, il faut souligner que 100% de l’effectif à des origines étrangères, presque tous sont afro-descendants (à l’exception de Jhon, colombien, et Emin, serbo-monténégrin). Il y a un petit effet de mode, c’est cool de dire qu’on préfère jouer pour le pays d’origine, « le choix du cœur ». C’est particulièrement présent chez les garçons originaires du Maghreb, qui admire beaucoup des joueurs comme Riyad Mahrez ou Mehdi Benatia pour ça. C’est à l’image du climat actuel en France, il y a parfois un sentiment de rejet chez ses jeunes, qui sentent que la France ne les accepte pas complètement. Je pense que certaines sorties de Nicolas Sarkozy ont eu des conséquences désastreuses sur les jeunes des banlieues. Le « karcher » de La Courneuve, « les racailles » d’Argenteuil… À Beauvau puis à l’Élysée, il a tellement entretenu cette posture agressive à l’encontre de ces garçons qu’ils ne se sentent plus Français. Et Darmanin reprend le flambeau aujourd’hui… Cette fracture est très présente.

Après, je pense qu’il faut aussi relativiser. Comme le dit très bien Nadir : « Ça n’est pas parce que je choisis l’Algérie que je n’aime pas la France ! On peut aimer les deux, être les deux. » Ces garçons ont des identités multiples, et toutes peuvent cohabiter. C’est ça qui est beau !

Il y a aussi un enjeu sportif : c’est plus difficile de percer en équipe de France ! Ils le savent très bien. Un exemple intéressant : Nassim, qui pensait peut-être jouer pour l’Algérie, a finalement été appelé en Équipe de France. Il n’a pas hésite et a accepté, parce que finalement c’est plus prestigieux de jouer pour les bleus. Les postures peuvent évoluer.

Ils sont d’ailleurs nombreux à avoir été sélectionnés en équipe nationale depuis mon enquête : Nassim, Mahamadou et Israël avec la France, Aiman avec le Maroc, Anis, Al Amin et Nadir avec l’Algérie et Emin avec le Monténégro. Un grand bravo à eux !

Concernant la phrase de Nadir sur le plaisir, elle est lourde de sens. Elle montre bien que le football ne représente pas seulement une passion, mais aussi un plan de carrière. Certains de ces garçons portent les espoirs d’une famille, le football est un moyen de s’élever socialement, de réussir, de gagner sa vie. Certains ont enregistré que l’école ne leur permettrait pas de réussir, alors le foot endosse le rôle d’ascenseur social. Et la déception est si grande quand on n’atteint pas son objectif que c’est dur de continuer « pour le simple plaisir ». Alors oui, c’est une vraie évolution. C’est une des conséquences du « foot business », l’argent que génère ce sport a changé la façon dont on l’appréhende. C’est un marché, il y a des spéculation, des paris, des enjeux. Les garçons sont devenus des marchandises, des valeurs boursières. Et ils en ont parfaitement conscience.

Encore une fois, il y a un contexte sociale derrière tout ça. Si les garçons avaient d’autres options, ils se mettraient peut-être moins de pression avec le foot. Mais ils savent que si ça ne marche pas, ils seront orientés vers des filières scolaires dévalorisées. Il faut s’interroger sur la façon dont on intègre les jeunes des banlieues dans la société française. Il y a quelque chose qui ne fonctionne plus dans notre système éducatif, la méritocratie affiche des limites et les garçons l’ont très bien compris. Ce sera peut-être le sujet d’un prochain livre…


Photo officielle des U15

Avez-vous gardé des contacts avec les éducateurs et les jeunes ? Si oui, que sont-ils devenus ?

Oui, j’ai gardé un lien très fort avec l’équipe et le club. Comme Souraké, Nadir, Emin ou Jhon me l’ont si gentiment dit après avoir lu le livre : « Tu fais partie de la famille maintenant ! ». Je passe souvent à Bauer, pour voir les matchs des pros ou les entraînements de ceux qui sont restés.

Jhon, Mohamed, Brayan et maintenant Nadir sont partis à Montrouge pour jouer dans le championnat U17 nationaux, le plus élevé de leur catégorie. Ils espèrent encore signer, il reste une chance ! Je vais régulièrement les voir jouer.

Je suis en contact avec tous les autres sur Instagram, on se donne des nouvelles, ils partagent toutes les actus autour du livre ! Ça se passe bien pour tout ceux partis en centre de formation. Nassim, Sean et Mahamadou sont respectivement meilleurs buteurs des poules du championnat U17 nationaux ouest, nord et est. Impressionnant ! Nassim est vraiment en train d’exploser, Caen a tiré le gros lot. Israël est régulièrement surclassé en U19 à Saint-Étienne. Anis est capitaine à Amiens. Aiman et Al Amin ont été gêné par des blessures mais repartent du bon pied. Emin ne cesse de progresser à Lille, Esaïe et Alex se sont fait leur place à Nancy et à la Real Sociedad… Je suis vraiment impressionné par leurs parcours, ces garçons sont bluffants ! Surtout que le coronavirus a complètement perturbé la vie des centres, ils ont dû rentrer chez eux pendant le confinement, s’arrêter de jouer pendant plusieurs mois… Ça n’est pas facile, mais leur résilience est un modèle du genre.

Nadir a fait pas mal de promo avec moi pour la sortie du livre. Il est super à l’aise, un vrai professionnel ! C’est le garçon qui me touche la plus, il a une grande sensibilité et il est très intelligent. C’est devenu un ami, un petit frère, je l’aime beaucoup.

Basile de Bure, Deux pieds sur terre, Flammarion, 2020.

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