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Entretien avec Alexis Berg, co-auteur du livre "Les finisseurs", photographe et éditeur.

La Barkley est considérée comme l'une des courses les plus difficiles du monde. Chaque participant doit parcourir l'équivalent de 5 marathons en moins de 60 heures au milieu d'une nature hostile. Alexis Berg, réalisateur et photographe de référence dans le milieu de l’ultratrail, a consacré, avec Aurélien Delfosse, journaliste de l’Equipe, un ouvrage sur les fameux finisseurs.



Peux-tu nous présenter la Barkley ?

C’est un ultratrail un peu particulier car il n’y a pas de vainqueur mais dont le but est de le terminer et, peu de gens y arrivent. C’est à la fois une course et un événement avec de nombreuses règles et codes qui se sont sédimentés avec le temps, qui la rende si unique dans le paysage des courses longues extrêmes. Elle se compose de 5 boucles qui font chacune la distance d’un marathon, qu’il faut parcourir en moins de 60 heures. Il y a plusieurs nuits à traverser pour les participants. Un des éléments importants, c’est le lieu. Le parc de Frozen Head dans le Tennessee est dans une zone minière. Comme la course a lieu à la fin de l’hiver, les conditions sont difficiles. Tous ces éléments mis bout à bout font que la Barkley ne ressemble à aucune autre course. C'est un problème à plusieurs inconnus. Le départ est variable, le parcours change chaque année, et Laz, l'organisateur fondateur, tel un maître du jeu, modifie les paramètres de la course. La durée couplée avec un dénivelé très important la rend très difficile pour les organismes, avec une dimension mentale et intellectuelle très importante.



Pourquoi avez-vous centré votre livre sur les finisseurs ?

En 2017, j’ai pu assister à la Barkley pour la première fois, en réalisant le documentaire pour l’Equipe Explore. C’était une édition particulière et épique puisque nous assistons à l’arrivée du 15e finisseur et Gary Robbins échoue à 6 secondes de la fin la course. Il y a tellement d’histoires à raconter autour de cette course, qu’avec Aurélien Delfosse, nous avons décidé d’en faire un livre. Même si plusieurs médias s’y étaient déjà intéressés, personne ne s’était penché sur la liste des 15 finisseurs.


Avez-vous décelé des éléments communs aux 15 finisseurs ?

C’est la question centrale du livre ! Le premier motif que l’on a identifié, c’est l’approche scientifique. En effet, Jared Campbell est ingénieur, John Kelly est data scientist, John Fegyveresi est glaciologue, Black Wood est physicien nucléaire. Tous précisent que la Barkley ressemble à leur métier de chercheur. Il faut résoudre un problème, chercher à le décomposer, voir les limites, les variables, l’amélioration possible. C’est parfois assez éloigné du sport. Alors que cette course est présentée comme un défi physique extrême, on se rend compte que l’un des communs des finisseurs, c’est de ne pas l’avoir fait par le physique - ce ne sont pas d’athlètes élites - mais par le mental et de l’intelligence. La deuxième catégorie que nous avons identifiée, ce sont les bâtisseurs. Il y a notamment plusieurs charpentiers. Ils ont construit leur propre maison, travaillés sur des chantiers de plusieurs années. A nouveau, nous revenons à la question mentale. Aller au bout d’un grand objectif sur une longue durée. L’autre point commun, c’est leur histoire avec la randonnée longue distance. Pour plusieurs, ce fût un passage obligé. Ils ont découvert la Barkley via les randonnées longues distances, ou par d’autres finisseurs des années précédentes qui leur ont conseillés de se mesurer à des records de courses longues distances avant de se lancer sur la Barkley.



Le livre est parfaitement illustré par des photos incroyables. Comment es-tu devenu photographe ? Pourquoi as-tu choisi de te spécialiser sur la course à pied et le trail ?

C’est arrivé par hasard. Je n’avais pas vraiment pensé à faire de la photographie. J’ai commencé vers l’âge de 25 ans. Comme ce n’était pas prémédité, je n’ai pas fait de formation de photographe. J’ai mis un peu de temps avant que cela ne devienne une activité professionnelle. C’est la même chose pour le trail. Je ne connaissais pas vraiment ce milieu avant de m’y plonger en tant que photographe. D’ailleurs j’ai une anecdote amusante. En 2013, j’accompagne mon frère sur la Diagonale des fous, et je fais quelques photos. Sur la première, il fait nuit, il y a deux gars qui passent, ce sont les leaders de la course, mais je ne les connais pas. Ce sont juste François D'Haene et Kilian Jornet ! [rire] A la suite de cela, j’ai commencé à suivre les courses, j’y ai trouvé un intérêt en allant dans la montagne, en profitant du paysage, de l’ambiance, de la nature.


A quel moment sais-tu que la photo doit être prise ?

Il faut capter ce qu’il se passe, saisir un moment, le ressentir. C’est une manière de traduire des sentiments. Comme l’écriture ou la musique, c’est un outil pour exprimer ce que l’on a en nous, ce que l’on voit, et la manière dont elle résonne en nous. La photo peut devenir une manière de vivre un moment. C’est aussi simple et spontané. Faire vivre et revivre une intensité. Une idée, une sensation et une image. J’ai d’ailleurs été éduqué par l’image, plus par le cinéma que la photographie. C’est aussi notre imaginaire traversé par le cinéma qui vient aussi résonner avec ce que l’on voit.


Comment te situes-tu face à des corps en souffrance ?

Quand j’ai découvert ce sport, je n’étais pas un pratiquant. Même si assez vite, j’ai bien vu la souffrance des participants. Mais deux heures plus tard, ils seront douchés en train de boire une bière, et à raconter leur course en espérant pouvoir y retourner un jour. La souffrance est temporaire, c’est très différent de voir la souffrance d’un ultratraileur en comparaison d’une photo sur une famille en temps de guerre. La souffrance sera plus profonde. Et puis les coureurs ne sont pas face à un miroir donc ils aiment aussi avoir des images de ce moment, car ils l’imaginent, se la représentent mais sans la voir.


Tu es aussi devenu éditeur. Peux-tu nous présenter les éditions Mons ?

L’idée est de pouvoir faire des livres de manière totalement indépendante en ayant la main sur tout le processus de création. Avec Frédéric, mon frère, nous avions fait le livre Grand trail (2015) nous devions toujours négocier notre vision. Nous nous sommes dit que le prochain projet, nous le ferions nous-mêmes. La création de la maison d’éditions est donc un outil pour que nous réalisions cela. C’est ce que nous avons fait pour Les Finisseurs, La Clinique Du Coureur, Contre allez. On fait aussi des traductions et on commence à publier des ouvrages de d’autres auteurs. Contrairement aux maisons d’éditions plus classiques, qui définissent leur axe éditorial avant de se lancer, le nôtre se précise au fil du temps et des livres. On a une approche plus artisanale, mais on a un intérêt pour la course à pied, la montagne et la photographie.


Quels sont vos projets à venir ?

En mars, nous publions la traduction de Cross Country de Rickey Gates, un coureur professionnel américain qui a traversé les États-Unis après l’élection de Donald Trump, à la rencontre du pays qu’il pensait mieux connaitre. Et puis en juin-juillet, nous publierons un projet plus centré sur la montagne. On a aussi d’autres projets à plus long terme mais que la pandémie a retardé.


Le documentaire de l'Equipe Explore est disponible ici : https://www.lequipe.fr/explore-video/020-la-barkley-sans-pitie/

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