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Du sang sous la patinoire : Interview avec Ben Barnier, auteur de "Hors Jeux"



Dans son roman noir Hors Jeux (Éditions d’Orbestier, 2017), Ben Barnier plonge son lecteur dans les coulisses des Jeux de Sotchi (2014). Son personnage, un journaliste photographe, découvre l’univers olympique russe où le système de contrôle et de surveillance perturbe la magie de l’événement sportif…



Ben Barnier, vous plongez dans les Jeux de Sotchi dans votre roman Hors Jeux. L’un de vos personnages est un journaliste qui semble demeurer à la marge des Jeux car il ne bénéficie pas des accréditations nécessaires pour pénétrer dans les sites de compétition. Vous avez vous-même couvert les Jeux de Sotchi. Dans quelles conditions ? Pour quel média ? Etiez-vous un journaliste mis « hors-jeux » par le manque d’accréditations ?


Effectivement, lorsque j’ai su que je couvrirais les Jeux de Sotchi pour l’agence AP, j’ai d’abord été fou de joie. Il s’agissait de ma première expérience olympique et l’événement est auréolé d’une certaine magie : aux Jeux, l’atmosphère est joyeuse, spontanée – l’amateurisme de la plupart des participants n’y est sans doute pas étrangère… De plus, c’est un moment où le monde se rassemble et j’étais sensible à cet « esprit olympique » qui suppose « trêve », solidarité et accueil enthousiaste et bienveillant du monde sportif dans sa diversité. J’avais déjà couvert d’autres événements sportifs de grande ampleur à l’exemple de l’Euro en Ukraine (2012), de la Coupe d’Afrique des Nations à Durban (2013), des Mondiaux d’athlétisme en Russie (2013) ou encore de la Coupe du Monde de football au Brésil (2014)… Mais les Jeux représentaient autre chose, peut-être quelque chose de plus sacré, plus universel.

Pourtant, en arrivant à Sotchi, ça a été rapidement la douche froide. Je disposais d’un passe pour couvrir les conférences de presse qui avaient lieu dans le parc olympique (composé des différentes patinoires), installé à Adler, une station balnéaire sur la côte de la Mer Noire. Mais le deuxième site, pour les épreuves de montagne, était assez éloigné (1h30 de bus à travers les montagnes) et j’étais affecté à la partie patinoire. Pour assister aux épreuves sur glace, il fallait supplier la personne qui tenait le guichet dédié. L’obtention de ces billets gracieux était aléatoire. En outre, on circulait très difficilement d’un bâtiment à un autre. Le système de contrôle était très lourd et freinait les déplacements d’un site à l’autre et même à l’intérieur d’un même site. Pour rappel : l’événement a eu lieu en 2014 et nous n’étions pas habitués aux contrôles mis en place dans l’Hexagone après les attentats de 2015. Il fallait aussi se battre pour se voir accorder la moindre interview de zone mixte… On se sentait un peu parqués, entravés dans notre liberté de mouvement. Les logements, construits rapidement, étaient assez vétustes et la population ne semblait pas prête à nous voir débarquer. Bref, j’ai ressenti un véritable choc culturel. Finalement, dans mon personnage Marc Libot, il y a une partie autobiographique, même si Hors Jeux reste avant tout un roman.


Quel a été le point de départ de l’écriture ?


En rentrant de Sotchi, j’étais toujours en proie à une forme de malaise provoqué par l’événement : ces Jeux ne ressemblaient pas à l’image que j’avais de l’Olympisme. Je me suis mis à écrire pour me défaire de ce sentiment de malaise et, d’une certaine façon, évoquer cette expérience que peu de Français ont vécue. Il s’agissait pour moi d’une nécessité de témoigner mais avec liberté : la forme du roman me semblait ainsi la plus appropriée.



Pourquoi avez-vous choisi le genre du roman policier ? Cela tient-il de l’atmosphère qui régnait alors à Sotchi ?


Avec Hors Jeux, il n’était pour moi pas question d’écrire un documentaire ou de rédiger un essai : d’autres connaissent mieux que moi les tensions géopolitiques de la région ou l’histoire de la Russie. Je voulais retranscrire une histoire, avec un début, un milieu et une fin qui tiendrait en haleine le lecteur. La fiction me semblait particulièrement indiquée, tout en m’offrant un énorme espace de liberté. Je souhaitais écrire un texte accessible à tous, et pas seulement aux passionnés de géopolitique ou aux fans des Jeux Olympiques. Je voulais que mon roman soit rythmé, surprenant, que le lecteur progresse dans ce roman sans être interrompu par de longues digressions géopolitiques. Le roman policier permettait de retranscrire l’atmosphère très sombre, sans joie, de Sotchi et de traduire le sentiment de malaise que j’avais alors ressenti.


Le polar à thématique sportive a une longue histoire. Je pense notamment aux nombreux volumes à thématique sportive de la collection « Mon roman policier » des éditions Ferenczi ou à la collection « Detect Sport » des éditions du Carquois dans les années 50... Plus récemment, il y a aussi des auteurs comme James Patterson, Philipp Kerr, Peter May ou, pour le corpus français, Pascal Dessaint et Jean-Noël Blanc. Vous posez-vous comme l’héritier de certains de ces auteurs ?


Ce sont des auteurs de talent et j’avoue m’être lancé dans l’écriture sans trop me focaliser sur ce qui avait déjà été écrit dans le genre : l’écriture est une entreprise démesurée et je ne voulais pas me sentir écrasé par ceux qui m’ont précédé. Je voulais garder une forme de candeur créative.

Toutefois, je suis particulièrement touché par les textes d’Antoine Blondin. Sa plume a donné des lettres de noblesse au sport, encore trop souvent considéré comme un thème journalistique ou littéraire “peu sérieux”. Au contraire, il me semble essentiel de se pencher sur le fait sportif pour comprendre une société : dans un reportage, aller au stade avec un interviewé, c’est voir comment il se comporte en société, c’est entrer dans son quotidien, dans ce qui le fait vibrer. C’est quelque chose que j’ai expérimenté dans différents reportages que j’ai déjà fait que ce soit au Sénégal, sur l’ex-RDA ou au sujet du Brexit.



Derrière les traits de votre personnage Vadim se reconnaît très clairement Vladimir Poutine. Son nom vient en écho à ces deux prénoms « Vladimir Vladimirovitch ». Pourtant le nom de Poutine n’est jamais énoncé… Pourquoi ce silence autour du nom du président russe dans votre roman ?


On m’a conseillé d’éviter d’utiliser le nom « Poutine » pour sortir de toute référentialité et permettre de m’inscrire plus clairement dans la fiction. Je ne souhaitais pas écrire un roman sur Poutine mais au contraire m’affranchir de cette référence pour produire mon personnage.

La Russie est par ailleurs un pays-monde qui me passionne : j’ai eu la chance d’y séjourner plusieurs fois et je m’emploie à parfaire mon niveau de russe pour pouvoir échanger plus facilement avec la population, la maîtrise de la langue permettant de mieux comprendre le pays, de dépasser les stéréotypes et d’accéder sans médiateur aux très nombreux Russes qui ne parlent pas anglais.


Ben Barnier. Hors Jeux, Éditions d’Orbestier, 2017.

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