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A l’ombre de Simone Biles

Dans Push, Annelise Heurtier nous conduit dans l’univers de la gymnastique, au cœur d’une famille de gymnastes où le sport semble être légué en héritage. Le club est provincial mais pas sans ambition ; l’équipe féminine est composée d’adolescentes.

Il y a Tessa, gymnaste passionnée en âge d’être au lycée, qui relève des défis à sa hauteur et tente de toujours donner le meilleur d’elle-même. Il y a aussi sa petite sœur de 8 ans, génie des praticables, élastique, douée et volontaire sur laquelle se concentre les espoirs de tous.

L’équilibre du club est remis en question avec l’arrivée d’un nouvel entraineur, professionnel, luxe nouveau dans cet univers du sport amateur.

Nous avons rencontré Annelise Heurtier….




Pour cette immersion dans le monde de la gymnastique, vous avez choisi une forme particulière, celle du journal intime. Ainsi, le lecteur parcourt les pages de votre roman comme s’il lisait un texte qui ne lui était pas destiné et s’introduisait dans l’intimité de Tessa. Pourquoi avez-vous fait ce choix ?

Pour ce roman, je voulais que l’on partage les pensées de Tessa, qu’on la suive dans son cheminement personnel, dans ses émotions. La forme du journal intime convenait bien à ce genre d’introspection. Par contre, j’ai trouvé qu’il s’agissait d’un exercice difficile. En cours d’écriture, je me suis souvent demandé si ce mode de narration, qui privilégie les pensées à l’action, arriverait à maintenir l’intérêt et l’attention du lecteur. Par définition, toute action y est décrite a postériori, rapportée par le personnage et donc biaisée par le recul de celui-ci. Il est difficile d’être dans la surprise. Même si il se passe quelque chose de surprenant dans la vie du personnage, quand il le rapporte par écrit, les émotions ont été modifiées par le laps de temps qui s’est écoulé, et il faut évidemment en tenir compte.


Vous dépeignez avec force de détails et justesse le monde de la gymnastique. D’où vous vient cette connaissance de l’univers de la gymnastique ?

J’ai pratiqué la gymnastique avec bonheur et passion jusqu’à mon entrée en classe prépa. Avec mes coéquipières, nous avons disputé bon nombre de championnats de France, avec souvent un podium à la clé. Ce sont des souvenirs incroyables. Exercer un sport avec passion est une expérience intense, un bonheur que je souhaite à tout le monde.




Dans le dernier tiers du roman, le récit s’interrompt pendant plusieurs mois. Vous avez choisi de laisser plusieurs pages vierges. Le silence devient palpable à la lecture. Que pouvez-vous nous en dire ? Pourquoi ce silence ? Que dissimule-t-il ? En quoi traduit-il quelque chose de l’ordre de l’indicible ?

J’ai vraiment voulu me mettre à la place de Tessa, comme j’essaie d’ailleurs de le faire avec chacun de mes personnages. Quand survient l’épisode du couloir (elle voit une de ses coéquipières sortir de la chambre du coach, l’air hagard), elle sait qu’elle ne pourra plus écrire de la même manière qu’auparavant, parce que cet événement qui la laisse sidérée par ses implications envahit son esprit et ses pensées. Elle a très peur de ne pas réussir à s’empêcher d’écrire et donc de rendre réel, de s’avouer ce qu’elle refoule de toutes ses forces. C’est uniquement quand elle sent qu’elle ne peut plus garder tout cela pour elle qu’elle s’autorise à reprendre le journal. Elle le sait et en même temps, elle retient ses mots. Elle se tend des perches pour ouvrir les vannes tout en faisant son possible pour les maintenir fermées. Elle a peur de faire voler en éclat l’équipe, sa famille, l’avenir de sa petite sœur et d’un autre côté elle sait très bien qu’elle n’a pas le choix et qu’il faudra qu’elle y parvienne. Et c’est avec l’écriture qu’elle se tend la main à elle-même.



Tessa, qui s’investit énormément lors des entrainements, sait qu’elle ne peut pas rêver d’un avenir de championne, contrairement à sa sœur qui cristallise tous les espoirs (de la famille mais aussi du club). Elle réalise un stage dans un journal et se découvre un véritable intérêt pour l’écriture. Est-ce une façon de suggérer au lecteur que l’épanouissement peut trouver différentes voies d’expression ?

Pourquoi pas 😊 C’est aussi suggérer que toute expérience a son intérêt ! Au début, Tessa n’a pas du tout envie d’écrire un journal intime, elle trouve l’idée puérile et ridicule. Je crois qu’elle a aussi peur de se décevoir elle-même, de ne pas être à la hauteur.


Votre roman questionne aussi la responsabilité de tous dans les cas d’abus sexuel, comme pour nous dire que l’on ne peut pas faire semblant de ne pas voir. Un message pour les jeunes lecteurs, dans la lignée de #Metoo et pour que la honte change de camp ?

Très sincèrement je n’ai pas du tout la prétention de faire passer des messages, ni pour juger qui que ce soit. Mon but est surtout de questionner. Ceci étant dit, on ne peut que regretter qu’en effet, trop de victimes ne parlent pas de peur de briser quelque chose, et de ne pas être entendues, ce qui rajoute de la violence à une violence déjà inouïe.


Propos recueillis par Julie Gaucher


Annelise Heurtier. Push. Casterman, 2021.

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