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Grandir à l’épreuve du ring

Nous avons rencontré Sylvain Faurax, auteur de Baisser la garde (Salto, 2019)

Baisser la garde est un roman d’apprentissage qui fait pénétrer le lecteur dans l’univers des sports de combat, de la boxe anglaise au MMA. Le protagoniste, Tom, adolescent discret, voire introverti, vit en banlieue parisienne avec sa mère, Anna. Il partage jeux et surtout bagarres avec Vincent, un jeune garçon du même âge, dont les parents trop occupés ont confié la garde à Anna. Pour Tom, la cohabitation semble davantage subie qu’appréciée… Un jour, ce dernier ose pousser la porte du BCA (Boxing Club d’Aubervilliers) et c’est la révélation.

Sylvain, pouvez-vous nous expliquer le choix du titre de votre roman ? Faut-il que votre personnage « baisse la garde » pour pouvoir grandir ?


Lever les poings est un poncif de l’enseignement de la boxe chez le débutant. Au-delà du clin d’œil du titre, je m’intéresse particulièrement au style des combattants et la garde s’avère très diverse selon le tempérament des athlètes. Cette esthétique qui est la leur participe parfois même à la dramaturgie de l'affrontement.

Tom doit-il lâcher prise pour trouver le bonheur ou au contraire s’accrocher à sa passion afin de s’épanouir ? Bien sûr, « Baisser la garde » relève de cette problématique qui intéresse chaque pratiquant à un moment donné de son parcours. Norbert Elias a décrit le sport comme un phénomène d’euphémisation de la violence dans la société au profit d’une « violence maîtrisée », codifiée. Compte tenu des sacrifices exigés par le haut niveau, l’ambition sportive n’en demeure pas moins brutale. Faut-il attendre l’usure du corps pour que cette soif de se battre soit étanchée ? Tom devra trancher selon ses espérances et son propre vécu.


En quoi la boxe participe-t-elle à la construction de l’identité de votre personnage ? Qu’apprend-il sur le ring ?


Je ne saurais évoquer précisément ce qu’il apprend. Ce qui compte surtout, c’est qu’il grandit sur le ring. Cette arène offre la possibilité de rencontres essentielles et le temps consacré à l’entraînement permet de se construire avantageusement. C’est d’une identité qu’il est à la recherche, quête naturelle à l’adolescence. Et ce qu’il découvre avec délice, c’est que la vie est plus intense sur cette surface. C’est déjà beaucoup !

La dimension éducative du sport est selon moi très relative en dehors du traitement didactique que l’on peut en faire. En revanche, c’est un catalyseur d’émotions sans équivalent justifiant tout l’intérêt qu’il peut susciter. Son entraîneur, Gaby, est quelque part le personnage le plus important du roman, moins pour la qualité de son enseignement que pour sa bienveillance et son rôle symbolique de père de substitution. Pour simplifier la formule de Jean Jaurès, on apprend jamais que ce que l’on est. Cet homme sera pour Tom le véritable passeur vers une vie d’adulte.


La boxe est un sport très investi par la littérature à thématique sportive que ce soit sous la plume d’Ernest Hemingway, de Jack London, ou de Joyce Carol Oates. La littérature française a aussi donné ses lettres de noblesse à cet art du ring notamment grâce à Henri Decoin, Paul Morand ou encore Louis Hémon. S’agit-il de lectures qui vous ont inspiré ?


Honnêtement, ma culture livresque sur le domaine des boxes et autres luttes ne dépasse guère les nouvelles de F.X Toole ou l’univers de John Irving où trainent toujours quelques ours et salles de grappling. Mes éditeurs, amoureux de la littérature sportive, comptent de nombreux auteurs de talent à leur catalogue et j’espère bien réduire mes lacunes en la matière. Plus sérieusement, le cinéma s’est très largement approprié ce domaine culturel et a beaucoup nourri mon imaginaire depuis ma plus tendre enfance. Les péripéties du légendaire James Braddock comme celles du fictionnel Tommy Conlon ont usé mon lecteur de DVD jusqu’à la corde.


Vous maîtrisez parfaitement votre sujet alors que votre roman introduit le lecteur tant dans le monde de la boxe anglaise que du MMA, après un passage par les boxes française et thaïlandaise. Ces sports ne vous servent pas seulement de toile de fond à l’intrigue, mais vous plongez avec justesse votre lecteur dans les univers techniques et symboliques de chacune de ces pratiques. Comment écrivez-vous ? Êtes-vous vous même pratiquant ? Avez-vous eu recours à des enquêtes de terrain, avec observations et entretiens, pour mieux comprendre ces sports ?


Selon les projets, ma démarche peut aller du choix de rester loin de toute documentation sur la thématique pour garder une forme de naïveté dans l’écriture au processus totalement inverse : m’immerger au plus près du sujet.

Concernant « Baisser la garde », je me suis fait un plaisir de me rendre sur le terrain, ne serait-ce que pour m’imprégner de l’atmosphère, de la saveur de ce milieu que je ne connaitrais jamais suffisamment. J’ai pratiqué la lutte libre à l’université et la savate plus tard, mais je reste surtout gymnaste d’identité (on en revient là). La boxe demeure une madeleine de Proust et j’ai donc suivi les phases finales du Championnat de France amateur à l’occasion du livre, certains combats professionnels aussi. Par la suite, j’ai cherché à obtenir audience auprès d’experts des différentes disciplines présentes dans l’ouvrage afin de ne pas trahir leurs voies de significations respectives. Je pense notamment à ma rencontre avec Gabriel Mapuka qui m’a inspiré au point d’en faire l’entraîneur de Tom.


Vos descriptions sont très précises : pour évoquer le corps en effort, vous n’hésitez pas à utiliser un vocabulaire anatomique ; pour rendre compte d’un combat, d’un lexique technique.

Selon Henry de Montherlant, « la joie du sport est une ivresse qui nait de l’ordre » et l’utilisation d’un vocabulaire anatomique dans un texte littéraire se justifie par un souci de précision : « le brachial antérieur est le brachial antérieur et rien d’autre […]. Je ne puis le désigner que de la façon dont je le désigne, si je veux le faire aimer de la façon dont je l’aime ». Qu’en pensez-vous ?


Cette phrase est superbe. Le corps est l’éternel oublié. Cette machine, simple instrument de l’intention, mérite mieux. Il possède une légitimité propre et le sport permet justement de la mettre en lumière. Alors, autant s’intéresser à lui, en faire un digne sujet et effectivement le décrire avec toute la précision dévolue à un acteur principal.

Même si le récit reste un roman initiatique, d’anticipation sur la fin au regard de l’avènement des pratiques mixtes de combat, je me suis attaché dans la deuxième partie à retranscrire un certain réalisme dans l’observation de l’univers amateur. Pour autant, les incursions en terre d’anatomie et de physiologie n’ont pas été pensées pour « mentir-vrai », pour reprendre la formule d’Aragon, mais pour tenter de chorégraphier les oppositions au plus juste. L’énergie du corps en mouvement n’est jamais linéaire et les focus organiques se veulent un moyen de ralentir le rythme, d’insuffler un contraste nécessaire dans la danse des adversaires.


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