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On a rencontré Quentin Zuttion…

Avec Touchées, Quentin Zuttion évoque l’« escrime thérapeutique », une pratique sportive qui permet aux femmes victimes de violences sexuelles de se reconstruire.




Qu’est-ce qui vous a amené à traiter ce sujet ?


C’est un sujet qui me touche. Pendant mon adolescence, j’en ai été le témoin impuissant. L’un des trois personnages de la BD est plus largement inspiré d’une personne. Il y a deux ans, j’ai rencontré autour d’un café une jeune escrimeuse. C’est elle qui, dans la discussion, m’a parlé des parcours de soin en escrime thérapeutique pour les femmes (et les hommes, ces ateliers sont maintenant également ouverts aux hommes), victimes de violences. Ça m’a troublé. L’une de mes premières réactions a été de penser à cette personne proche de moi et de me demander comment aurait été son « après » si on lui avait donné un masque et un sabre entre les mains. À ce moment-là, j’étais pris par d’autres projets, je suis revenu à ce désir de bande dessinée 1 an et demi après et j’ai pu rencontrer le docteur Violaine Guérin (qui a créé ces ateliers avec un maître d’arme) pour lui expliquer mon projet.



Êtes-vous vous même escrimeur ? Vous rendez avec beaucoup de justesse, par le dessin, les gestes de l’escrime. Avez-vous expérimentez physiquement cette pratique sportive ou avez-vous eu recours exclusivement à l’observation ?


Non je ne suis pas escrimeur. Mais j’ai eu la chance de pouvoir faire une séance en solo avec l’un des maître d’arme qui s’occupe des ateliers. J’ai donc pu ressentir ce que ça fait, corporellement et psychologiquement, d’être sous ce masque, derrière ce grillage. Pour ce qui est des postures, j’avais demandé à une photographe de venir filmer et photographier ma séance. Ça m’a été très utile pour les attitudes et essayé d’être le plus précis possible dans l'étirement du corps lors des assauts.

Comment avez-vous procédé pour l’écriture du scenario ? Avez-vous exploité un terrain d’enquête ? Avez-vous eu recours à des entretiens avec les pratiquantes et l’encadrement (maître d’arme et psychothérapeute) ?


Nous avons échangé avec Violaine Guérin. Elle m’a également confié son ouvrage « Comment guérir des violences sexuelles » qui retrace les traumatismes psychologiques et physiques des victimes. Il m’a été d’une grande aide, notamment sur l’aspect métaphorique et onirique du livre. C’était important pour moi, ne serait-ce qu’en tant qu’auteur/dessinateur, de chercher dans l’intime et dans ce qu’il y a de plus difficile à exprimer avec des mots. J’ai retranscris et mélangé des témoignages pour donner corps à mes trois héroïnes. Chacune a son propre langage, que celui-ci soit parlé ou corporel. Elles ne s’expriment pas de la même façon, n’ont pas les mêmes manières d’attaquer ou de se défendre. Tamara fend des armures, Nicole arrache la sienne et Lucie ne fait plus qu’un avec elle, elle devient armure et fusionne avec son sabre. Il ne faut pas forcément chercher à « dire » à tout prix, c’est pourquoi j’ai choisi d’aller vers ces représentations viscérales ou ce sont leurs gestes et leurs corps qui parlent.


Vous construisez la narration autour de trois portraits de femme. Pouvez-vous nous présenter celle qui vous tient le plus à cœur ?


Elles sont toutes importantes et se battent et se débattent à leur manière. Elles représentent aussi trois générations différentes, qui se retrouvent et s’unissent, chacune apporte à l’autre. Nicole (la plus âgée) rencontre avec ces ateliers le besoin d’aller vers les autres. Lucie est plus mutique mais sait écouter. Quant à Tamara (la plus jeune) elle n’y va pas par quatre chemins, et son côté provocatrice (qui est son armure à elle) est ce qui va amener Nicole à sa libération. C’était important pour moi, que les ateliers d’escrime ne prennent pas toute la place du livre. Je voulais qu’on les voit dans le quotidien, chez elles, seules, ou bien ensemble. J’ai essayé de montrer comment le domestique et les relations aux proches peuvent être parasités par les violences. Comment Lucie gère sa relation avec son fils ? Comment Tamara baise avec son petit ami ? Comment Nicole observe une jeune femme à la piscine, s’amuser avec des copains ? Ce sont trois regards qui se rencontrent pour former un soutien et une sororité qu’elles attendaient.



Les questions identitaires autour de la sexualité semblent être une thématique clé de votre travail, on pense notamment à Appelez-moi Nathan (2018). Pouvez-vous nous présenter plus largement votre parcours d’artiste ?


La construction de soi est une thématique qui prend forme dans beaucoup de mes livres. J’ai commencé la BD en 2016 avec Sous le lit, qui raconte la sortie de l’adolescence d’un jeune gay. C’était une auto-fiction. Puis dans Chromatopsie en 2018, j’ai élargi cette thématique et commencé à vraiment mettre le rapport au corps au centre de mon travail. Ce sont 11 histoires en BD, avec des personnages très différents, qui somatisent leurs émotions qui se manifestent corporellement. Des contes de métamorphose vers un soi, pour se libérer de ce qui nous étouffe. Pour Touchées, je pense avoir utilisé ce même principe du corps qui somatise et exprime la souffrance, et comment celui-ci va tenter de se guérir.


Quentin Zuttion. Touchées. Payot, 2019.

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