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Entretien avec Frédéric Scarbonchi et Christophe Cécil Garnier, auteurs du livre "Supporter&q

Qu’est-ce qu’être supporter de football aujourd’hui ? Qui sont les ultras ? Comment a évolué le mouvement depuis sa naissance dans les années 1980 ? Frédéric Scarbonchi et Christophe-Cécil Garnier, journalistes indépendants, ont parcouru les routes de France, gagné la confiance des supporters et partagé des moments uniques avec eux afin de délivrer un portrait inédit : celui d’un supporter dans toute sa diversité, au-delà des idées reçues. Rencontre.

Pourquoi ce livre ?


Fred : Au départ, ça part d’un plaisir personnel, l’idée de faire le plus de stades possibles en France. Puis, plutôt que d’aller en touriste profiter des buffets des tribunes de presse, on s’est dit qu’on irait en tribunes. Les supporters, au même titre que les joueurs, sont des acteurs du football. On trouvait, à l’époque - c’est un peu moins vrai aujourd’hui - que la parole du supporter était complètement occultée. On a voulu réparer ça. Chris : On ne pensait pas en faire un livre au départ, même si Fred avait émis l’hypothèse dès notre début de tour des stades. Mais très vite ça nous a titillé : on avait à chaque 70% de la matière qu’on récoltait lors de nos reportages qu’on ne pouvait pas mettre dans nos papiers. L’idée du livre permettait de répondre à cette envie de dresser un portrait global du supportérisme français.


« On n’aime pas trop les médias, on a toujours l’impression de se faire avoir » Graouz, de la Horda. Comme le témoigne ce supporter, pour un journaliste il n’est pas évident de rencontrer des supporters et supportrices car ils sont méfiants vis-à-vis des médias. Comment avez-vous travaillé ?


Fred : Il faut établir une relation de confiance. On arrivait pas le samedi matin au pied de la tribune en se disant “on va rencontrer les supporters”. On les contactait en amont, on essayait de se caler avec eux, ce qu’ils attendaient de nous et ce qu’on attendait d’eux. La défiance a empêché certaines rencontres, mais quand les groupes ont vu le travail qu’on avait fait sur Amiens ou sur Nice, les premières villes visitées, ils ont été rassurés. Au point que certains groupes nous ont contacté eux en premiers pour savoir quand nous allions venir.


Chris : Les supporters sont méfiants mais ils fonctionnent au mérite. Si tu fais les choses bien, ils te le rendront bien également. Après, on leur disait les choses clairement : on mettra ce qu’on voit, pas plus, pas moins.


Les médias font souvent un mélange entre supporter, ultra et hooligan. Pouvez-vous nous rappeler brièvement les différences ?


Fred : Un supporter est un fan de son équipe. Qu’il aille au stade ou non, il ne participe pas forcément à l’ambiance en tribune, il n’est pas porté par le sentiment d’appartenir à une communauté, ou en tout cas moins que l’ultra. Le supporter peut aussi être actif, sans être forcément ultra. L’ultra répond à un tas de code, participe à l’animation de sa tribune, fait partie d’un groupe, fait les déplacements et se rend au stade.

Le hooligan, lui, n’a pas toujours un attachement au club, même si ça arrive. Il est surtout motivé par la violence, quand elle n’est qu’un élément parmi d’autres chez l’Ultra. Il ne chante pas en tribune, il ne participe pas à l’animation du gradin.

Après, le mélange entre supporters, ultras et hooligans, il se fait de moins en moins dans les médias. A part quelques consultants ou commentateurs phares, les journalistes tiennent maintenant les définitions, au moins dans la presse sportive.


Chris : C’est intéressant cette question des différences car il y en a même à l’intérieur de ces termes. Certains supporters seront plus “accros” à leur équipe que d’autres supporters, sans être ultra comme l’a rappelé Fred. C’est cette notion un peu lourde du “supportérisme actif”, que certains supporters appellent “suiveurs”. J’ai rencontré un capo d’un groupe récemment. Il a confié qu’il y a une dizaine d’années, il ne faisait partie d’aucun groupe ultra. Il n’était donc pas ultra au sens strict du terme mais il suivait le club en déplacement assez souvent et chantait toutes les 90 minutes. Disons que ces trois termes permettent d’établir des catégories générales, mais après il y a une multitude de façons de supporter. Mais on ne peut demander aux médias d’être aussi précis sur ces détails.





On voit que le supporterisme est souvent une histoire de famille, d’où le lien encore plus fort avec le club, sa culture et ses lieux.


Fred : C’est une histoire d’identité plus que de famille. On y arrive par la famille, c’est une voie importante, mais on peut arriver au supportérisme par d’autres biais. Le lien se crée ensuite avec la ville, ou la région, ou le fanion du club. À Caen, la Normandité est importante, à Nice ou à Paris, c’est la ville qui domine les pensées, quand dans d’autres villes on a plus le sentiment que ce qui compte avant tout, c’est le club.


Chris: Les ultras du PSG suivent d’ailleurs les féminines et le hand avec une certaine ferveur car c’est encore une fois la ville qui est représentée. Ils essaient que ça devienne normal, à la façon des groupes ultras grecs ou turcs qui suivent le volley, le foot ou le basket.


Vous abordez également le phénomène du « supporterisme à distance », étudié par notre collègue Ludovic Lestrelin.


Fred : Oui, mais pas aussi bien que lui. Les sociologues et les journalistes ne font pas le même travail. Nous, on s’appuie sur des travaux de Ludovic Lestrelin pour mener notre enquête journalistique, l’inverse est moins vrai. C’est lui, la référence. Du coup, sur le supportérisme à distance, même si on l’aborde, nous ne sommes pas les plus qualifiés.


Chris: C’est malheureusement quelque chose qu’on n’a pas pu aborder tant que ça car notre livre repose tout de même énormément sur nos déplacements dans les stades. Et évidemment, là-bas, le supporter à distance n’est pas là. Mais on a pu l’aborder via le chapitre des réseaux sociaux et via la communauté “humoristique” lyonnaise sur Twitter. Les Serious Charly et Eddy Fleck ne sont pas des ultras à tout donner pour leur club, mais ils en parlent constamment. Une communauté de Lyonnais s’est d’ailleurs bien établi sur Paris. J’y avais été pour le match Barcelone-Lyon, il y avait plus de 300 personnes, c’était assez fou. Les “leaders” de la communauté avaient été eux-mêmes bluffés.



J’ai été très surpris de voir que certains ultras peuvent changer de club au cours de leur vie, ou supporter plusieurs équipes.


Fred : Non, ce n’est pas vraiment comme ça que ça se passe. À Amiens, quand un leader nous raconte qu’il supporte le PSG, il était enfant. Amiens, quand il est enfant, ce n’est pas un club professionnel. Le club le plus proche, c’est le PSG. Si vous venez d’un petit village de la Corse, vous êtes supporters de Bastia. Si un jour, votre petit village monte au niveau pro, vous changerez peut-être… Simplement parce que c’est inattendu, vous ne pouvez pas décider, enfant, de supporter toute votre vie un club amateur. Vous avez besoin de quelque chose à quoi vous identifier, qui vous fait rêver. Sinon, vous pensez peut-être au cas de l’Angevin qui se rendait à Nantes. Il ne supportait pas le FC Nantes, il avait besoin de la mouvance Ultra dans sa vie. Ce n’est pas la couleur ou la domination du club qui l’a porté vers Nantes à un moment, mais juste le sentiment qu’il y vivrait des choses plus fortes qu’être ultra à Angers. On diffère là d’un changement de club, parce qu’on ne parle pas vraiment d’être supporter, en tout cas pas comme on l’entend couramment.


Chris: Certains ultras, comme on l’a dit, commencent jeunes, par la famille ou les potes. Il y a un côté de construction de l’identité personnelle qui se forme. Donc oui, dans le cas de cet Angevin, il a pu aller à Nantes se “former” avant de revenir naturellement vers son club. Mais après, il y a le cas des alliances. Un ultra français peut nouer des amitiés avec d’autres ultras d’un groupe étranger et suivre leur club comme ça. Il y a pas mal d’amitiés avec des clubs allemands ou des clubs italiens. C’est ce qui se rapproche le plus pour moi d’un ultra qui “supporteraient plusieurs clubs”. Car sinon ils sont assez centré sur leur club de cœur.


On voit que le supporter n’est pas seulement un animateur de tribune, qu’incarne-t-il aujourd’hui? Est-il un militant ?


Fred : C’est un syndicaliste, il a voix au chapitre. On l’a vu et on le voit encore à Bordeaux, où ils sont assez puissants. Il est un défenseur d’un football populaire, d’un football où le supporter à encore sa place. Et souvent, d’ailleurs, plus qu’il ne défend son club ou l’institution, il défend une idée – encore à définir – d’un football qu’il estime populaire, avec ses paradoxes.


Chris: Et il ne le défend pas que pour lui. La plupart du temps, les groupes de supporters se battent pour les droits de tous. Quand un déplacement doit être pris en charge par le club, quand les prix en tribunes populaires sont trop chers. Les Lingons Boys avaient prévenus par exemple leur direction que l’abonnement était trop chers alors que Dijon venait de monter. La direction ne les avait pas écouté mais la seconde année, ils ont baissé les prix car peu de monde s’était abonné. À Nantes, les groupes de supporters se sont unis pour défendre l’idée de détruire la Beaujoire. Ils ont participé aux concertations, proposé des dossiers, joué le jeu démocratique. Car c’est un symbole pour le peuple nantais.


En avril 2019 à Bruxelles, le sociologue Jean-michel De Waele a organisé un colloque sur l’humour des supporters . En tant que caennais, je pense forcément aux membres de We are Malherbe. Représentent-ils un nouveau visage du supporterisme, le supporterisme 2.0 ?


Fred : On a tout un chapitre du livre là-dessus, et We Are Malherbe est largement évoqué. Les supporters sont drôles, subversifs, et ce sont des provocateurs. Bien sûr, les réseaux sociaux, lieu de trolls et d’humour, ont permis de développer ce côté supporters du lol, mais les ultras ont un énorme second degré, beaucoup d’humour. On le voit sur les banderoles, souvent. Par contre, ils aiment aussi choquer, être des sales gosses. Pour eux, l’humour ne doit souvent avoir aucune limite. Ça peut créer des incompréhensions.


Chris : Là tu fais référence aux banderoles qui faisaient références elles-mêmes aux chants homophobes. Il y a même un classement qui a été créé par l’ANS pour récompenser les meilleurs banderoles, intitulé le “Roxana Challenge”. Ça démontre une envie de provoquer mais aussi de dédramatiser ce qu’il se passe, les rivalités… Et parfois, tu as des réactions pas du tout drôle, comme lorsqu’un jeune joueur signe ailleurs – on citait le cas de Goebbels – où les supporters de son ancien club viennent direct l’insulter. C’est un manque de recul qui est parfois navrant. Sur Twitter au passage c’est assez marrant car tu as vraiment deux communautés qui cohabitent: les mecs qui prennent tout avec humour et ceux qui sont premiers degrés sur tout. Du coup ça fait parfois des conversations assez lunaires.



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