top of page

Entretien de Grégory Nicolas, auteur de « Équipiers » : "Je me suis dit à ce moment-là qu'i

Comment est venue l’idée d’écrire « Équipiers » ?

Le désir de parler de cyclisme est liée à mon rapport à l'enfance qui est très présent dans mon rapport au monde et dans mon travail d'écriture. La pratique du cyclisme a marqué 10 ans de ma vie, à occuper chacun de mes dimanches, à marquer mon corps, m'a laissé en souvenirs des joies et des peines aussi. Ensuite il y a cette rencontre avec Perrig Quéméneur au mariage de ma cousine avec Pierre Rolland et le regard qu'avait Perrig en écoutant Pierrot raconter ses exploits, je me suis rendu compte qu'il avait les même que moi lorsque, gamin j'admirais Perrig qui nous dominait tous, petits cadets que nous étions. Je me suis dit à ce moment-là qu'il y aurait quelque chose d'infiniment romanesque à parler de ces champions gamins qui, une fois adultes, renoncent à lever les bras pour se mettre au service d'un autre. Enfin, il y a cette chute collective invraisemblable sur le Tour de France 2015 au cours de laquelle William Bonnet fût blessé gravement, il me fallait écrire ce que les hélicoptères ne montrent pas. L'intimité, le rapport au corps, la douleur et les rires qu'on n'entend pas quand le peloton roule à 44 de moyenne.


©Fabien Nissels


[if !supportLists][endif]C’est aussi un écho à votre carrière chez les juniors ? D’ailleurs pour l’écriture du livre, vous reprenez le vélo et assez vite vous nous dites, « je me suis souvenu pourquoi j’avais arrêté ce sport débile. Ce sport de perdant, qui fait un heureux, le vainqueur et en laisse 199 dépités ».


J'étais un jeune cycliste particulièrement laborieux comme on l'est presque tous. Et pourtant j'adorais ça, je m'entrainais, je me couchais tôt, blanc de dinde haricots-verts pâtes, tout le tralala. Je faisais le métier, mais rien, pas une coupe, pas un bouquet, enfin si une place de trois en cadet 2 qui a sans doute rendu plus fiers mais parents que ma mention au bac... c'est sans doute aussi pour ça que j'ai voulu évoquer ceux qui ne gagnent pas. Car c'est vrai dans ce sport on perd tout le temps. Au tennis, au foot, au basket ou à la pétanque, on a disons une chance sur deux de gagner, mais en cyclisme, il ya 200 mecs au départ (moins maintenant), un qui gagne et 199 qui ont perdu...Ensuite, je me suis rendu compte à passer autant de temps avec les coureurs, à les écouter, à écrire, que c'est bien plus complexe que la représentation simpliste que j'avais de ce sport. Car en cyclisme ne pas gagner ne veut pas dire perdre.

Après quatre fictions, c’est la première fois que vous écrivez un livre documentaire. Pourquoi ? Cela a-t-il changé quelque chose dans votre manière d’aborder l’écriture, et sur votre style ?


Pour moi écrire de la fiction ou de la non-fiction comme ici, c'est exactement la même chose, c'est de la littérature. D'ailleurs j'ai construit ce livre comme un roman d'aventure, avec une quête, un trésor, le maillot de champion du monde. Je ne fais aucune différence entre ce livre et les précédents, si ce n'est que je trouve que je progresse à chaque livre et c'est vraiment une chose importante pour moi, exactement comme un coureur, je travaille fort pour être meilleur. Pour ce qui est du style je crois que j'ai trouvé le mien maintenant car je sais ce que je veux. Je veux écrire quelque chose d'évident, avoir le mot juste, sans me regarder écrire. Charlotte et Jean-Baptiste Sénat, deux vignerons que j'adore m'ont dit un jour qu'ils voulaient faire du vin comme un fleuve va vers la mer, et bien pour l'écriture, et en ce qui me concerne, c'est la même envie. Enfin, avec l'expérience je m'autorise plus de choses, j'essaie de toucher à l’entièreté de la palette de émotions, du rire aux larmes, comme la chanson du groupe SNIPER.

Concernant votre premier livre, vous dites « J’ai mis du temps à assumer que c’était un livre sur le vélo, comme si je ne voulais plus parler de vélo de ma vie, comme si le cyclisme n’était pas assez bien pour mon travail ou pas assez bien pour la littérature. Comme si je reniais mes origines qui ont leurs racines dans les courses de campagnes ». Pourtant le cyclisme, avec la boxe, est l’un des sports les plus représentés en littérature. Avec Equipiers, on peut dire que vous assumez enfin cette double casquette d’écrivain et de coureur ?


Il faut dire que la fin de mon histoire avec le vélo après les juniors a été dure à vivre, j'avais un profond sentiment d'échec. Car j'avais aimé tellement ce sport sans rien recevoir en retour. C'était de l'amour déçu, j’ai eu le même sentiment que l'on peu éprouver après avoir été rejeté par une fille qu'on pistait, on imagine mille choses et que ce sera formidable, alors quand ça ne se passe pas comme on l'avait rêvé, on se dit qu'en fait elle n'était pas si belle, pas si drôle, que sa peau ne sentait pas si bon. Aujourd'hui ne peux pas me considérer comme un coureur, mais j'assume mon amour pour le vélo et surtout des mecs qui sont dessus, c'est devenu mon obsession joyeuse. En ce moment je fais mes 200 bornes par semaine, pas très vite mais avec un plaisir fou. J'aimerais bien remettre un dossard un jour mais je ne le ferai pas. J'ai peur que ça casse quelque chose. Et en effet, il y a une tradition entre le cyclisme et la littérature, j'adore le travail de Blondin bien entendu ou de Fottorino ou Bordas et j'ai une admiration sans borne pour Olivier Haralambon que je considère comme l'un des plus grands écrivains de langue française actuellement, et j'ai envie de m'inscrire dans cette tradition, en parlant du vélo qui est le mien, à ma manière. Dans le même temps il y a toute une partie du livre de cyclisme dans laquelle je ne me retrouve pas, les biographies vite écrites mal écrites, les pseudos livres enquêtes et les sempiternelles histoires du maillot jaune, avec ce que ça comporte de vision passéiste et de critique en creux du cyclisme actuel, ce n'est vraiment pas mon truc, j'ai l'impression qu'on prend un peu trop souvent le lecteur pour un imbécile, qu'on ne travaille pas assez. Alors qu'il y a tant de choses magnifiques à écrire sur ce sport incroyable.

Revenons à « Équipiers». Quel coureur vous a le plus marqué pendant les entretiens ?

J'ai un attachement particulier pour chacun d'entre eux car ils m'ont tous fait le cadeau de m'ouvrir leur cœur. D'Axel à Perrig, de Romain à Pierrot, de Geoffrey à Jimmy, tous se sont livrés comme jamais je n'aurai pu l'imaginer. Ce livre n'est pas un livre d'entretien mais le roman de nos moments de vie. La rencontre la plus forte est sûrement celle avec Clément. C'est une sorte de coup de foudre amical que nous avons vécu. Son histoire m'a bouleversé, je l'admire et je suis fier de dire que nous sommes potes.

En lisant l’histoire de Pierre Rolland, j’ai pensé au livre de Jean Palliano « Le revers de Richard Gasquet », l’histoire du grand espoir dont le public en attend sans doute un peu trop. D’ailleurs, vous dites que Pierre Rolland est soulagé lorsqu’il devient un équipier pour Thomas Voeckler.


C'est toujours la même chose, on attend beaucoup des autres, souvent plus que de soi d'ailleurs. On oublie vite les douleurs, la peine, le souffle court, les muscles tétanisés. Qu'on attende quelque chose d'un autre ne me dérange pas mais on ne peut pas reprocher à Richard Gasquet ou à Pierre Rolland de ne pas avoir concrétisé des promesses, car ils ne nous ont rien promis. Et puis quand même une carrière à la Gasquet ou à la Rolland c'est beau tout de même. Je me rappellerai toute ma vie de la victoire de Pierre à l'ALpe d'Huez, rien que pour cet instant je lui dis merci.

Avec Clément Chevrier, vous abordez un sujet tabou dans le sport, celui de l’anorexie.

Clément est le premier coureur au monde à avoir le courage de témoigner de son anorexie (qui est en sommeil actuellement, il mène ce combat avec courage et détermination). Car il veut que son exemple serve. Le succès en cyclisme c'est aussi un principe physique, pour simplifier : un rapport poids/puissance. Le but est d'être le plus léger possible pour une puissance donnée. L'ensemble du peloton est soumis à un régime sévère et à une charge de travail tout aussi sévère, pour maximiser ce rapport et malheureusement pour certains c'est la révélation d'un mal profond, d'un rapport mortifère à l'alimentation. Clément en parle parfaitement dans le livre. Mais attention ce n'est pas parce qu'un coureur est maigre qu'il est anorexique. L'anorexie est une maladie, ce n'est pas un mode de vie, ou un moyen d'être performant.

Terminons par un sujet plus léger. Qu’attendez-vous de ce Tour de France 2019 ?


J'attends de ce Tour des familles partout au bord des routes, des grands-parents avec leurs petits-enfants, des piques-niques et des mains tendues pour choper les cadeaux de la caravane, la rumeur du peloton, le bruit des rayons qui fendent l'air, des bras qui se lèvent à la ligne passée, et de la fraternité.


Grégory Nicolas. Équipiers. Hugo sport, 2019.

Posts Récents
Archives
Rechercher par Tags
bottom of page