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Entretien avec Guillaume Martin: L’ambition de ce livre était de réunir l’intellectuel et le sportif

Guillaume Martin est cycliste professionnel depuis 2016. 21e du Tour de France 2018 et vainqueur du Tour de Toscane en 2017 (devant Nibali !), le leader de la Wanty-Groupe Gobert est aussi titulaire d’un master de philosophie. Dans ce cadre, il a rédigé un mémoire sur un sujet original : « Le sport moderne : une mise en application de la philosophie nietzschéenne ? ». Entre deux Tours de France, le jeune normand a pris le temps d’écrire une pièce de théâtre « Platon vs Platoche », l'histoire comique et romancée du grand philosophe antique Platon, tiraillé entre une vie faite de spéculation intellectuelle et son désir d'action, qui sera joué au Festival d’Avignon 2019. En ce début d'année, il récidive, cette fois avec « Socrate à vélo », un premier livre drôle et savoureux, dans lequel Nietzche, Kant, Socrate, Platon participent au Tour de France.

Pourquoi avez-vous écrit « Socrate à Vélo » ?

A la fin du Tour de France 2017, les éditions Grasset m’ont sollicité pour l’écriture d’un livre, par l’intermédiaire du journaliste et auteur Philippe Brunel. J’ai accepté car j’avais une totale liberté dans la forme et sur le fond. Je voulais réunir deux univers en apparence éloignés mais qui me tiennent à cœur, à savoir le cyclisme et la philosophie. Je voulais m’adresser aux deux publics : parler de philosophie à un public peu habitué à traiter de ce sujet, parler de sport à un public peu habitué à le regarder à la télé ou à le pratiquer.


Sur la forme, vous avez opté pour un mélange entre fiction et essai.

Le choix de mêler fiction et essai me permettait d’associer une partie plus romanesque, à savoir la participation de grands penseurs européens au Tour de France, avec une plus formelle, pour me permettre de transmettre ma vision des liens entre ces deux univers. D’un côté, la théorie, de l’autre, la pratique. Les deux parties se répondent puis se confondent au fil du texte. Sur la construction, je me suis inspiré du livre de Georges Perec, W ou le Souvenir d'enfance.

Sur la fiction, vous utilisez le(s) concept(s) du philosophe pour le définir comme cycliste.

Au moment où j’ai décidé d’inventer cette participation des vélosophes au Tour de France, il fallait caractériser ces personnages. La meilleure manière de le faire était de partir de la pensée ces philosophes en les associant à des archétypes de coureurs. En faisant se confronter les allemands (Nietzsche, Kant,) avec les grecs (Aristote, Platon, Socrate), je voulais montrer l’articulation entre la pensée et la pratique. Pour les grecs, la pensée a autant d’importance que la pratique, elles s’entremêlent donc ils veulent être jugés sur les deux. Ce sont autant des philosophes que des coureurs cyclistes. D’ailleurs je me retrouve vraiment dans cette idée. Les allemands ont une autre manière d‘appréhender la pensée et la pratique. Quand Einstein, le manager de l’équipe allemande fait appel à eux, ce sont des purs philosophes qui se reconvertissent en cyclistes. Avec eux, la théorie vient nourrir la pratique.

Sur la partie essai, vous en profitez pour régler « quelques comptes » en vous moquant des journalistes qui posent toujours les mêmes questions mais aussi du public, avec l’échange entre « Plotin et Platon.


Dans la partie essai, je voulais partir de mon expérience car je suis conscient que mon parcours peut paraitre original. Si les journalistes s’intéressent à ce livre en ce moment , c’est juste parce que son auteur est un sportif. Je ne suis pas dupe. Cette focalisation sur ma double casquette a pu m’énerver. Dans le livre, je me moque un peu du « journalisme à la chaine » qui part de cette étiquette, qui se focalise sur celle-ci, et me pose souvent les mêmes questions. Même si je me moque et que je peux me plaindre de cette situation, je suis également très conscient qu’elle me donne une exposition médiatique. Elle m’ouvre certaines portes, notamment, celle d’écrire un livre. Par rapport au passage de Plotin-Platon, c’est une moquerie attendrie vis-à-vis d’un public parfois agaçant mais aussi très attachant. J’essaie de rester nuancé.

Vous vous insurgez contre l'idée que le sportif de haut niveau ne développerez pas d’intelligence. Selon vous, le corps pense ?

Oui le corps pense. L’ambition de ce livre était de réunir l’intellectuel et le sportif. Je voulais montrer au public qui peut avoir des a priori sur les sportifs, que nous ne sommes pas des bourrins, des machines, mais que nous développons plusieurs intelligences, du corps en particulier. Pour moi, le sportif développe deux types d’intelligence. L’une théorique ou discursive, c’est celle que l’on développe à l’école, celle de la raison, de l’apprentissage du savoir, de la connaissance. L'intelligence pratique est plus intuitive, en partie inconsciente, plus corporelle. Il s’agit de l’appréhension immédiate de comment réagir à une situation donnée, de l’instinct. Le compétiteur doit continuellement développer ces deux types d’intelligence. Depuis ce livre, j’ai entendu parler d’un chercheur qui a distingué huit types d’intelligence ! donc je suis un « petit joueur ».

Comment définiriez-vous le champion ?


Le champion se distingue par sa capacité à synthétiser l’essence même de son sport. Il maitrise cette intelligence pratique à la perfection. Tout semble juste, naturel. Sur les autres sportifs, on voit le geste travaillé, on voit l’entrainement. Chez le champion, le geste est tellement intériorisé, naturel, que le spectateur pense qu’il est né avec cela. Il est ébloui par l’intelligence du corps.

« Il y a du Vinci chez Ali ». Vous voyez une forme d’Art dans l’activité physique de haut niveau ?

Je ne suis pas le premier à avoir fait ce lien ! A partir du moment où l’on parle de perfection dans le geste, on parle aussi de divin et d’artistique. Avec le champion, l’activité physique devient performance esthétique. C’est quasiment un lieu commun de comparer les deux. D’ailleurs, si la boxe est appelée « noble art », ce n’est pas pour rien.

Quels sont vos projets pour 2019 ?

Coté littérature, Je vais m’efforcer d’accompagner la sortie du livre et de suivre de loin le parcours de la pièce « Platon vs Platoche » qui sera présentée au Festival d’Avignon. Coté sportif, j’ai repris la saison en janvier, et ça commence bien puisque j’ai fait trois top 10 en 3 courses. On va enchainer avec le Tour de Catalogne, les Ardennaises, et l’événement le plus important de ma saison, le Tour de France, même si pour l’instant, nous n’avons pas défini d’objectif avec l’équipe.

Plus d'infos sur la pièce de théâtre "Platon vs Platoche" : http://theatre.laboderie.fr/les-spectacles/platonvsplatoche

Plus d'infos sur "Socrate à vélo" : https://www.grasset.fr/socrate-velo-9782246815754

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